Vin et confinement

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vin et confinementChronique d’un confinement

Quoi qu’il se passe autour de nous, la vie poursuit son cours. Les jours passent, les cycles continuent à tourner et les dates anniversaires arrivent.

A l’occasion des 18 ans de ma fille Pauline, j’ai ouvert une bouteille de son année de naissance. Il s’agissait d’un Loupiac cuvée d’or 2002 du château Dauphiné Rondillon. Après une quinzaine d’années, l’étiquette a logiquement souffert de la conservation dans mon armoire à vin.

Le plus important est à l’intérieur

C’est d’abord l’aspect du vin qui retient l’attention : une robe toujours brillante dont la nuance se situe entre le doré et l’ambré, que je qualifierais de vieil or. Le nez est intense, marqué par les arômes de miel et de fruits confits. La bouche est bien fondue avec une sucrosité très présente et bien intégrée dans l’harmonie globale du vin. Ce vin réchauffe l’âme. Il n’est pas le meilleur liquoreux que j’ai dégusté mais j’en garderai longtemps le souvenir par les circonstances dans lesquelles je l’ai partagé.

Ce qui fait la qualité de ce vin , c’est le temps qu’il a passé dans le noir, « confiné » à la fois dans sa bouteille et dans l’armoire à vin. Ainsi,certains vins s’améliorent avec ce genre de traitement alors que d’autres se dégradent rapidement. Naturellement, cela amène à se poser la question «  et moi, sortirai-je meilleur du confinement ou aigri ? »

Cela m’ a conduit aussi à me demander ce qu’est le confinement. Nous n’avons pas le sentiment d’être confiné car nous avons choisi ou nous pensons avoir choisi le lieu où nous vivons. Nous sommes tous plus ou moins confinés en permanence : par nos habitudes, nos modes de pensée et attitudes mentales. Cela concerne nos activités personnelles et professionnelles, nos modes de fonctionnement et conditionnements liés à nos cultures familiale, nationale, linguistique… Nous sommes ce que nous sommes en grande partie parce que nous sommes nés à un endroit particulier, dans un environnement particulier.

Cela ne vous rappelle rien ?

Le vin aussi est une expression d’un endroit particulier, avec un environnement particulier

On appelle cela le terroir. Cette notion de terroir recouvre les composantes du sol et du sous-sol (profondeur, nature chimique, granulométrie). Elle comprend aussi les données du climat (précipitations, températures, ensoleillement, vent) . On peut également ajouter à cela l’influence plus générale de l’environnement, représentée par la faune et la flore, celle du sol en particulier. En résumé, le terroir c’est la nature.

Le vin est donc une co-création du vigneron et de la nature. Les grands vins naissent tous sur des grands terroirs. Par conséquent le vigneron qui veut produire un grand vin doit tirer partie, s’adapter et mettre en valeur son terroir. J’en connais un qui écrit sur ses étiquettes la phrase de Francis Bacon « On ne commande la nature qu’en lui obéissant ».

Quand nous achetons une bouteille d’Appellation d’Origine, nous choisissons la production d’un terroir , provenant d’une zone bien délimitée, et d’une certaine manière, le fruit d’un confinement.

Les végétaux ne se déplacent pas, immobilisés à vie au même endroit par leurs racines. C’est précisément l’expression de ce terroir que nous recherchons et que nous apprécions. Colette a écrit “Seule la vigne nous rend intelligible ce qui est la véritable saveur de la terre”.

D’une certaine manière, nous expérimentons actuellement la vie des végétaux, contraints à nous ancrer dans notre vie de confiné, face à face avec notre nature.

Les philosophes nous disent que vivre, c’est accepter ce que l’on ne peut pas changer

Le vigneron peut choisir le cépage qu’il cultive, la manière de cultiver la vigne et d’élaborer son vin. Il ne peut pas changer le terroir d’une parcelle.

Partout, la nature est confinement car elle subit les conditions de son environnement. Nulle part , la nature n’est confinement car elle est en relation avec son environnement.

En ce temps d’épidémie, la nature nous rappelle que c’est elle qui décide. Le savoir accumulé par les humains et la technologie peuvent résoudre de nombreux problèmes mais la nature a toujours le dernier mot. Si nous allons trop loin ou trop longtemps dans une mauvaise direction, elle nous rappelle à l’ordre parfois douloureusement.

En cette période où nous la perturbons moins, la nature fait un pas vers nous : les animaux sauvages s’invitent dans des lieux habituellement réservés aux activités humaines.

Cette période nous permet de comprendre que nous ne sommes qu’un fragment d’un immense ensemble. Notre intérêt et notre raison d’être consistent à vivre dans l’ harmonie et le respect de tout ce qui nous entoure.

Il semble que beaucoup de consommateurs de vin profitent de ce temps suspendu pour se livrer aux plaisirs du vin plus qu’habituellement.

Et si chaque vin, émanation d’un lieu précis de notre terre, expression de la nature par l’intermédiaire du végétal , nous ramenait à l’essentiel de notre humanité, à notre place dans la gigantesque mécanique du vivant ?